
Depuis le 22 février 2019, un mouvement citoyen sans précédent ébranle l’Algérie. Tous les vendredis, des masses populaires, par millions, se déversent sur les rues d’Alger et des grandes villes du pays pour exiger le départ du pouvoir politique. Tous les plans machiavéliques des dirigeants n’ont pu éteindre le brasier révolutionnaire allumé par les « hirakistes. » Après avoir navigué à vue pour essayer de juguler cette révolution dite du sourire, le commandement militaire, à travers le président Teboune, qualifié d’illégitime par les citoyens pour cause du rejet massif de son élection, se voit offrir par le coronavirus et l’opération de confinement une fenêtre de tir inespérée pour asseoir son pouvoir
.Les algériens entre covid et manœuvres du pouvoir.
C’est dans cette période de confinement qu’il réforme la constitution pour accentuer ses pouvoirs et éviter, en toute situation, le précédent de la destitution de Bouteflika. Elle dépossède in fine le peuple de toute initiative citoyenne du contrôle des institutions. Sa seule finalité : le pouvoir absolu entre les mains du commandement militaire et le peuple en second collège ad vitam æternam.
Profitant de cette situation sanitaire et de la suspension des marches du vendredi pour cause de covid19, le pouvoir dans son entreprise de tuer dans l’œuf tout espoir de reprise du mouvement, veut à tout prix le priver de ses cadres et moyens de communication. C’est dans cette optique qu’il emprisonne à tout va militants politiques et associatifs, journalistes et blogueurs du web, ferme des sites d’information proches du hirak et interdit de parution un journal en langue berbère.

L’arrestation de l’emblématique journaliste Khaled Drareni, correspondant de reporters sans frontières en Algérie montre s’il en faut la dérive autoritaire de ce pouvoir aux abois.
Il était l’un des reporters ayant rendu compte le plus fidèlement du mouvement de contestation dans les médias occidentaux. C’est grâce à lui notamment que nous avons pu être informé de la situation algérienne à travers ses reportages dans quelques chaînes d’information françaises. Après maintes tentatives d’intimidation sans résultats, il a été arrêté sous l’accusation farfelue d’intelligence avec une puissance étrangère après s’être rendu avec quelques collègues à un déjeuner à l’ambassade de France à Alger.
Le manque de solidarité de la profession et le silence des autorités de ce côté de la méditerranée ne nous honore pas.
Sur le front de la situation pandémique du Covid 19, après la crainte d’une hécatombe, tant que l’incurie du pouvoir de Bouteflika ait mis à terre le système de santé algérien, l’épedimie semble tant bien que mal contenue grâce au dévouement du personnel soignant.
Les vingt ans de règne de Bouteflika ont vu le départ à l’étranger de quelques 5000 médecins. La nomenklatura algérienne avec en tête de file le président se soignait en France ou en Suisse tandis que les moyens des hôpitaux se réduisaient comme peau de chagrin et les petites gens arpentent les couloirs des établissements de soin à la recherche de traitements pour des maladies chroniques.
Connaissant cette situation, les médecins algériens ont dès le départ de l’épidémie fait le choix d’utiliser le moyen le moins coûteux, accessible et disponible : La chloroquine.
Le résultat est non négligeable. L’Algérie compte jusqu’à présent un peu plus de 500 décès.
Pendant toutes ces années de corruption à grande échelle, de gabegie et de lapidation des ressources du pays, on construisait des milliers de mosquées, dont la plus emblématique grande mosquée d’Alger qui a engloutie à elle seule des milliards de dollars.
C’est aussi pendant ces années qu’on a trahi et bradé le combat, lourdement payé, des démocrates algériens contre le terrorisme islamiste avec notamment la loi dite de « concorde civile » instituée par Bouteflika, qui a transformé le bourreau égorgeur islamiste en victime.
On a alors hissé les voiles du « wahhabisme » pour répandre son venin et en abreuver la société faisant ainsi de citoyens des abrutis capable de préférer l’urine de chameau à la pénicilline. Mais c’était sans compter sur la vivacité d’une jeunesse chevillée sur les réseaux sociaux, voulant sa part de liberté, de légèreté et de bonheur comme tous les jeunes du monde.
C’est dans ces conditions que le torrent du 22 février a éclaboussé les certitudes du pouvoir.
Malgré toutes les tentatives des dirigeants algériens pour profiter du confinement sanitaire afin d’éviter que la contestation ne reprenne après la pandémie, l’ébullition des réseaux sociaux et l’impatience des hirakistes à réinvestir les rues paniquent au plus haut point les autorités.
C’est ce qui fait dire à certains observateurs que le pouvoir chercherait à maintenir la pandémie à un état résiduel comme il l’avait fait pour le terrorisme dans le but de faire avorter toute tentative de contestation.
Loin de ces tumultes Idir s’éclipse.
Profitant de cette léthargie dont le coronavirus a fait plonger le monde entier, un immense artiste se retire discrètement, ne voulant certainement déranger personne comme il l’a fait toute sa vie durant.
Idir, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a certainement, dans sa légendaire, sous-estimé la déferlante de ses mélodies. Il n’a probablement jamais cru que « vava i nouva » ait soufflé sur les quatre coins du monde.

Des deux côtés de la méditerranée, l’hommage qui lui est rendu est à la hauteur de son talent et de de ses engagements sans faille pour la défense de sa culture et de sa langue longtemps brimées et combattues par un pouvoir despotique, qui dans sa politique d’arabisation menée à pas de charge a voulu exterminer une identité millénaire.
Tel un troubadour, Idir a porté sa Kabylie sur toutes les scènes où il a pu se produire. Son attachement chevillé au corps à sa culture a fait de lui son porte-voix le plus connu au monde.
Habitué des scènes ajacciennes et bastiaises, Idir a trouvé en la terre Corse une source d’inspiration qui à beaucoup d’égards fait face aux mêmes tourments que sa Kabylie.
La dernière fois qu’il s’est produit en Corse, c’était au théâtre de Bastia, où il avait ponctué son spectacle par une improvisation majestueuse avec le célèbre groupe I Muvrini. Avec Jean-François Bernardini, ils ont conjuré le sort et ils ont adouci en poésie les doux rêves de la Corse et de la Kabylie.
Dans le ciel, désormais une autre étoile kabyle scintillera à côté de celle du grand écrivain Mouloud Mammeri.
Sur terre, ses mélodies continueront à bercer nos rêves d’une identité berbère enfin accomplie.
Moussa Ait Ihaddadene

*Moussa Ait Ihaddadene vit en corse avec sa famille. Journaliste indépendant en Algérie, menacé par les Islamistes, il a est arrivé dans notre Île dans la décennie 90. Au début des années 2000, il donnait son sentiment sur la situation algérienne dans un ouvrage initié par l’association Per a Pace “Regards sur l’Algérie”. Un livre pour développer la solidarité, valoriser les échanges et les coopérations citoyennes.
Merci pour ce texte Moussa, il montre comment le pouvoir algérien a profité du Covid pour tenter d’enrayer les revendications du Hirac… les manifestations de masses. En France aussi même si la situation est différente le Covid a servi quelques intérêts de pouvoirs.
Bravo pour cet article.
Article très intéressant, lucide sur une situation qui a des similarités avec d’autres pays du monde, dont la France. Plus particulièrement dans la répression et le musèlement du peuple. A suivre la voix des jeunes qui n’a pas dit son dernier mot pour une vraie démocratie dans le respect des droits humains.
Bravo papa!