Covid19, Chloroquine et paresse du journalisme de marché. Par Philippe OLLANDINI

Le 22 mai dernier, la revue scientifique médicale britannique The Lancet publiait les résultats d’une étude remettant en cause l’intérêt de l’Hydroxychloroquine dans le traitement du SRAS-CoV-2, voire cherchant à démontrer sa nocivité. Le même jour, la quasi-totalité des médias dominants en France reprenaient les conclusions de la revue, qualifiée de « prestigieuse » pour Libération, de « référence » pour Le Figaro ou encore de « très sérieuse » pour Le Parisien, comme pour s’exonérer de toute analyse critique. Le Monde est à peine moins élogieux quand il place la revue dans le « carré magique » des revues scientifiques tout en suggérant néanmoins que l’étude « n’entre pas dans la catégorie supérieure des essais cliniques dits randomisés » (ce qui n’empêchera pas, le 26 mai, les « décodeurs » du quotidien de dénoncer « les raccourcis et approximations » de … Philippe Douste-Blazy, critique de l’étude). Cette précaution n’embarrassera cependant pas France Info qui, le 23 mai, va qualifier l’étude « d’inquiétante » en termes de « mortalité accrue » du fait du traitement. Le même jour, La Voix du Nord va même considérer celle-ci comme « une preuve statistique robuste ».

Pourtant, cette réactivité et cette unité dans le traitement d’une seule information, par ailleurs à charge, rappellent l’épisode de l’arrestation à Glasgow le 11 octobre dernier d’une personne présentée comme Xavier Dupont de Ligonnès recherché depuis 2011 pour meurtres. Là aussi, les médias s’étaient contentés de présumer comme fiables des « sources policières », considérées dès lors comme déterminantes. Or, nous savons comment cet emballement médiatique s’est terminé lorsque la police écossaise, cette fois-ci dès le lendemain, a démenti l’information déclenchant aussitôt un exercice d’auto-justification et de contrition de ces mêmes médias. Quelques jours plus tard, le directeur de France Info déclarait ainsi que « l’information en continu ici, c’est de l’information, c’est un fait, mais c’est aussi de la contextualisation et du décryptage. C’est fondamental aujourd’hui et c’est ce que nous nous efforçons de faire ». Manifestement, six mois plus tard, ce manifeste pro domo a été oublié par ceux-là même qui l’ont plaidé.

Pour autant, dans le cas de l’article de The Lancet, les médias ont eu plus d’une semaine pour mener cette contextualisation et ce décryptage, puisque c’est seulement le 4 juin que la revue annonce le retrait de l’étude publiée le 22 mai, l’article ayant été retiré à la demande des coauteurs, lesquels estimaient ne plus pouvoir « garantir la véracité des sources de données primaires » fournis par une société, Surgisphere, peu connue jusqu’à cette date. Entre-temps, le 28 mai, 120 scientifiques avaient cosigné une lettre dans The Lancet s’interrogeant quant à « la méthodologie et à l’intégrité des données ». Ce doute raisonnable aurait pu être relevé par les médias, en particulier compte tenu du fait que cette revue scientifique avait, en outre, déjà dû retirer des articles pour insuffisance méthodologique. Cependant, cette fois-ci, point d’excuse, ni de contrition, et c’est à la seule mise en cause « du filtre de la relecture réputée implacable » de la revue médicale que Le Monde s’attache dès le 4 juin !

Pourtant, ce type de traitement d’une information concernant un sujet d’actualité très sensible, par ailleurs devenu polémique et quasi irrationnel, a eu une conséquence à la fois politique et médicale.  En effet, le ministre Olivier Véran, se fondant sur l’avis du Haut conseil de santé publique, lui même s’appuyant sur l’article du 22 mai de The Lancet, a abrogé par décret du 27 mai la dérogation qui permettait d’utiliser cette molécule et a suspendu les essais cliniques destinés à tester son efficacité. Se privant de cet outil pour lever en toute clarté les doutes sur le traitement en question et enfin rationaliser le débat, le ministre a ainsi contribué à décrédibiliser l’action publique. Comme je l’ai écrit dans un précédent article, tout ceci s’inscrit bien dans cette séquence dans laquelle l’information contradictoire est assumée (par les médias dominants et ce gouvernement) et systématiquement cantonnée au domaine scientifique ou médical (qui les dédouanerait tous de leur impéritie).

Philippe Ollandini

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Bonsoir Philippe et merci pour ce très bon article ,comme tu nous en offre toujours.

Tres bon article qui aborde la légèreté avec laquelle, certains médias traitent l’information… Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire….

Parfaitement d’accord, Philippe. Cette crise du COVID 19 a montré, si besoin était, l’état de délabrement de nombre de médias français. Et cette “basse-cour médiatique” qui pérore à longueur de journée a hélas encore de beaux jours devant elle. Même le service public de l’audiovisuel est touché par ce virus.
Heureusement quelques uns sauvent l’honneur.