Et après le jour d’après ? Par Philippe Ollandini

Philippe Ollandini

La crise sanitaire devrait marquer, on nous l’assure, une rupture entre un « monde d’avant » et « un monde d’après », ce dernier sensé être « radicalement différent de celui d’aujourd’hui » selon Nicolas Hulot et cela, « de gré ou de force ». Pour autant, rien n’est dit sur ce que cela changerait de manière concrète pour nos existences. Aucune notice n’est pour l’instant disponible, au mieux quelques indices, la plupart contradictoires.

Tout cela pour nous donner l’illusion que nous pourrions tout changer et que ceux qui nous dominent nous laisseraient faire et renonceraient ainsi à leur « monde d’après », tout entier contenu dans le scénario business as usual du GIEC . Car, pour l’instant, c’est le dérèglement climatique qui est toujours à l’ordre du « jour d’après » et la pandémie que nous subissons en est une illustration, « un avant-goût du choc climatique » comme le disent Philippe Descamps et Thierry Level dans Le Monde diplomatique de mai.
Dès lors, afin de ne pas céder à l’injonction, pourquoi n’en profiterions-nous pas pour explorer le jour d’après « le monde d’après » la crise sanitaire, c’est-à-dire le jour où la crise écologique majeure ne sera plus seulement une hypothèse confuse ou hasardeuse ? Je vous invite à partager cette réflexion en m’appuyant sur le documentaire vu tout récemment sur la chaîne Arte : « Cuba : le secret de l’île bio », documentaire diffusé sur la chaîne Arte. Celui-ci nous présente des producteurs agricoles, les uns de feuilles de tabac, d’autres de légumes, d’autres encore, de miel. Leur point commun : ils pratiquent une agriculture sans produits chimiques (ni engrais, ni pesticide). Pour autant, le reportage ne les montre pas comme isolés, mais comme représentants d’un mode de production agricole bien développé sur l’île caraïbe. Il est cependant rappelé qu’il ne s’agit pas d’un choix volontaire qui aurait anticipé la crise environnementale, mais plutôt de la conséquence, pour Cuba, d’une autre crise : la fin du contournement du blocus étasunien de l’île par le bloc « socialiste » après la dislocation de l’URSS en 1991. La réduction drastique des importations, notamment pétrochimiques, a entraîné des difficultés innombrables pour la population et d’abord dans le fait de se nourrir. Le gouvernement de Fidel Castro a donc dû trouver une parade pendant cette « période spéciale en temps de paix », selon la terminologie officielle, en demandant aux Cubains « de s’adapter » et aux agriculteurs de « revenir aux vieilles méthodes traditionnelles ». Ces derniers ont ainsi développé l’agriculture biologique et l’agroécologie, voire innové en agriculture urbaine rendant ainsi également tangibles les concepts de circuit court et de consommation locale que nous souhaitons voir, toutes et tous, se développer ici ou même tout simplement mis en œuvre.
Néanmoins, il ne faut pas se contenter et se féliciter de ce constat parce qu’il peut apparaître comme pouvant aller de soi et reproductible sans modification sensible, ni planification, de l’organisation de la production et des échanges. La réduction de la consommation d’intrants agricoles (la moyenne à l’hectare de terre arable de la consommation d’engrais à Cuba est trois fois inférieure à celle en France) nécessite de consacrer à l’agriculture une part plus importante des emplois (Cuba compte encore aujourd’hui 18,6 % d’emplois agricoles contre 2,8 % en France), mais aussi des surfaces de terres arables. Ainsi, à Cuba, s’est fortement développée l’agriculture urbaine avec près de 400 000 petites fermes mettant en valeur 70 000 hectares de terres au sein même des villes qu’elles alimentent en légumes et en fruits. Il s’est agi d’un bouleversement économique, social et environnemental sans précédent qui n’aurait pas pu avoir lieu sans la conjonction d’une crise majeure pour la survie d’un pays et d’une volonté politique d’indépendance.
Dès lors, au-delà d’un certain romantisme, cette fois moins révolutionnaire qu’écologique, il faut se rendre à l’évidence que la crise qui est déjà là ressemblera à court terme au choc que le peuple cubain a connu. Et les réponses seront tout sauf consensuelles. C’est une véritable révolution qui nécessitera une participation citoyenne à la fois consciente et animée d’une volonté politique de rompre définitivement avec le « monde d’avant ». Ce ne sera pas une chose simple, mais il faudra le dire et le décrire et d’en proposer le chemin. Comme il faudra dire aussi que si nous voulons que cela réussisse, ce sera sans eux, car « pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible » (Antoine de Saint-Exupéry).
Philippe Ollandini

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Et oui, Cuba, ce petit pays au Grand peuple , malgré les vicissitudes, n’a pas fini de nous étonner.

Une analyse comparative qui montre que changer notre monde de production agricole est une nécessité urgente face aux crises. Cuba a su s’adapter de bonne manière lorsque l’URSS a disparu du champ politique et humanitaire.
Hier au soir mardi 23 juin la chaîne Arte dans une très intéressante et nouvelle émission diffusait un nouveau documentaire sur les méfaits et la gravité des OGN sur la santé de tous.

“Il n’y a plus d’après”,chantait Juliette Gréco .
Comme prévu , le capitalisme destructeur(des hommes comme de la planète),les profits et la régression sociale repartent de plus belle . Au-delà des mots (avant,après), il faut donc se battre maintenant pour réinventer LE PRÉSENT .
Cuba si !

Bien vu, Bernard. Effectivement, les termes d’avant et d’après évacuent aussi la notion même de présent. Et le présent, c’est la crise écologique et sociale qui se profile à très court terme. Crise qu’ils vont aggraver avec leurs solutions pour résoudre la crise économique post-CoVid (qui est bien réelle) et la crise du capitalisme (déjà bien entamée).