Par Jean-Baptiste Agostini :
La victoire des nationalistes et des autonomistes est sans appel. Ces derniers ont été capables de capter une partie importante du mécontentement qui montait dans l’île depuis plusieurs années. Les nationalistes ont su également séduire la jeunesse, entre autres, à partir de revendications identitaires : langue corse, rapprochement et amnistie des prisonniers politiques, autodétermination, indépendance de la Corse.
Toutefois, malgré le score atteint par la liste Pà a Corsica, 56,67%, il faut relativiser la victoire des nationalistes et des autonomistes, sans pour autant la sous-estimer. En effet, 49,02% des inscrits ne se sont pas déplacés ou ont voté blanc ou nul. C’est le premier parti de notre île. Le gros de ces abstentionnistes est probablement à rechercher parmi les couches les plus défavorisées de la population (voir la participation très faible dans les quartiers comme les Salines à Ajaccio, ou à Lupino à Bastia). La plupart de ces électeurs s’est réfugiée dans l’abstention soit par désespérance, soit par rejet de la classe politique dans son ensemble. Pendant la campagne électorale, on a souvent entendus : « Tous pareils, ils se gavent, tous pourris ».
Les deux listes de la droite traditionnelle maintiennent bon an mal an leur pourcentage par rapport aux élections précédentes. Les prosélytes de la pensée macronienne, des radicaux de gauche et des socialistes pour la plupart, obtiennent 12, 67% de suffrages exprimés, un taux en deça de leur espérance. En tout cas loin du niveau atteint par la liste Giacobbi au second tour des territoriales de 2015. Il est probable que des maires, des électeurs de la pseudo gauche clanique aient rejoint le camp des nationalistes. De mauvaises langues parlent même de nationalistes de la dernière de la dernière heure ! Comme c’est curieux. A la Libération, en Corse et sur le continent, on a connu un phénomène semblable, avec un nombre record de gens qui se sont révélés être des résistants. On appelle ça comment ?
Quant au Front national, il a été éliminé dès le premier tour, avec 3,20% des suffrages exprimés. On est en droit de poser la question : mais où sont donc passées les voix de Marine Le Pen (28% au premier tour de la présidentielle, 48% au second tour) ?
La liste l’Avvene, a Corsica in cumunu a obtenu pour sa part 5,95% des suffrages exprimés. Donc, un taux insuffisant pour franchir le seuil de 7% qui aurait permis la qualification de la liste pour le second tour.
Ce résultat n’est pas bon. Il faut le reconnaître.
Quelles en sont les causes ? Elles sont multiples. La première, c’est assurément l’intolérable campagne menée par Jean-Luc Mélenchon contre cette liste, ses candidates et candidats, les militants de la Corse insoumise, de Manca alternativa et ceux du Parti communiste. Quelques exemples particulièrement croustillants utilisés par un homme qui avait et a toujours l’ambition d’accéder à la charge suprême de le République : Bras cassés, piteux équipage, faussaires, usurpateurs, falsificateurs, etc. Un beau florilège. Le grand fédérateur du peuple a tout simplement fait exploser sa propre famille en Corse. Cela a bien sûr suscité une vague d’indignation et de colère chez tous les militants – il est bon de le rappeler – qui se sont défoncés sans compter pour soutenir le candidat Mélenchon, lors de la présidentielle et tous les candidates et candidats de la France insoumise aux élections législatives. Avec de telles attaques, ignominieuses, le mentor de la France insoumise a sans doute contribué à perturber un grand nombre d’électeurs de gauche qui se sont réfugiés dans l’abstention ou le vote nul ou blanc. Par voie de conséquence, à ôter la possibilité à la liste l’Avenir, la Corse en commun de franchir la barre fatidique des 7%. Dans le même temps, Jean-Mélenchon avait les yeux de Chimène pour la mouvance nationaliste. D’ailleurs, à l’issue du second tour de la territoriale, ne s’était-il pas empressé de féliciter les leaders nationalistes et à enfoncer un peu plus les candidats de son propre camp ?
Il est évident que le comportement de notre homme providentiel n’explique pas tout. D’autres causes peuvent être avancées. Et il faudra les affiner. Il y a tout d’abord le rôle de la presse régionale, voire nationale qui n’ont pas toujours été bienveillantes à l’égard de liste l’Avvene, a Corsica in cumunu, loin s’en faut, préférant rouler allègrement pour les nationalistes et la droite clanique. Il y a les propres insuffisances de la Corse insoumise. Sa création récente. Ses manques de moyens matériels et financiers. Il y a aussi la relation entre le Corse insoumise et le Parti communiste pendant toute la préparation et le déroulement de la campagne électorale. Cela n’a pas toujours été apparemment un fleuve tranquille. Le Parti communiste ou du moins certains de ses cadres, n’ont pas – semble-t-il – digéré l’inflexion des rapports de force à l’intérieur de la gauche et accepté de gaieté de cœur que la liste fût conduite par un membre de la Corse insoumise, ex candidat de la France insoumise à l’élection législative dans la première circonscription de la Corse du Sud, en l’occurrence Jacques Casamarta. Certains responsables communistes – dit-on – n’auraient pas joué pleinement leur rôle de soutien à la liste commune. D’autres membres du Parti communiste, des « orthodoxes », auraient même mené campagne pour l’abstention. L’affaire de la banderole du Parti communiste à Bastia, lors du meeting avec Paul Laurent, secrétaire national, a suscité beaucoup de réprobations et de polémiques bien au-delà de la Corse et donné des arguments à Jean-Luc Mélenchon pour mener sa charge contre la liste l’Avenir, la Corse en commun. La présence de cette banderole, de belle dimension, n’avait pas lieu d’être dans la salle de réunion à Lupino. Ce n’était pas un meeting du Parti communiste. Enfin et sans clore le débat sur les causes de l’échec, il y a aussi dans le conscient de nombreux électeurs de gauche, le rôle très négatif joué par le clan Giacobbi, radical dit de gauche, par ses pratiques clientélistes et la corruption qui en découlait. Tout cela a contribué à éclabousser l’image de la gauche. Le Parti communiste devrait en tirer quelque leçon, lui qui s’est accroché, pour un temps, à l’attelage giacobbien. Est-il prêt à le faire ? Une chose est sûre, la gauche est désormais absente des institutions régionales.
Le syndrome italien nous guetterait-il ?
Jean Baptiste Agostini.
Contribution de Pierre-Henri Fabiani
A qui la faute ?
Pendant les élections présidentielles, nous avons entendu des candidats voulant « incarner » de grandes idées. Voter pour des idées ne doit pourtant pas pousser au panurgisme derrière une « incarnation » qui tourne à la mégalo et à l’autocratie. Il n’y a rien de pire en politique que le narcissisme. La gauche n’a pas été épargnée par ces dérives personnelles et nous connaissons les résultats électoraux qui l’ont sanctionnée sur le plan national mais aussi sur le plan local. Certes les Insoumis ont quelques sièges de députés mais Macron dispose d’une majorité soumise écrasante pendant la durée du quinquennat. Il peut compter aussi sur la Droite et quelques libéraux restés au PS.
Les Régionales sont révélatrices de la conception de la démocratie qu’ont les professionnels de la politique. Lorsque le mode de scrutin les place au pouvoir, c’est la démocratie. Lorsque le mode de scrutin les fait perdants, c’est contraire à l’esprit républicain. Pour eux, république et démocratie ne coïncident que lorsqu’ils sortent vainqueurs des urnes.
En Corse viennent de se dérouler les élections de la collectivité territoriale. « Vous voulez l’indépendance, prenez-la ! » A Paris, d’aucuns lancent cette exhortation comme un rejet pendant que d’autres crient à l’unité de la nation française et à l’intégrité du territoire national.
Les jacobins de tous poils et les carriéristes politiciens reprochent à des élus corses de parler corse dans l’assemblée corse. En 2015, la valse des mécontents avait fait suite au discours en langue corse du nouveau président de l’assemblée de Corse – Jean-Guy Talamoni. Même Jean-Luc Mélenchon avait fait savoir son indignation. Dans un tweet, il avait indiqué se sentir ” un peu offensé quand le président d’une assemblée française ne parle pas dans la langue que je comprends“.
Les seules langues qui devraient être interdites en politique, ce sont les langues de bois, les langues de vipères et les langues de p… L’assemblée nationale et le sénat résonnent trop souvent de leurs voix.
Jusque sur l’Île, les associations dites patriotiques, les journaux bien pensants, les anciens combattants et leurs zouaves vont-ils dans un élan magnifique « comm’à-verdun » ranimer la flamme et manifester violemment contre une collectivité territoriale de Corse devenue majoritairement autonomiste et indépendantiste, pendant qu’une voix « insoumise » et française du Continent salue le « dégagisme » et se déclare « Indépendantiste français en Europe », bien qu’autrefois offensée par un discours en langue corse dans l’Assemblée de la Corse ?
Malheureusement, la gauche alternative corse a été victime d’une langue bien pendue qui a distillé le poison électoral, l’anathème méchant lancé pour nuire et l’accusation infondée qui justifie une haine personnelle contre une partie de la Gauche. Point besoin de le citer, il se reconnaîtra. Nous verrons si, en Corse et sur le Continent, le dégagisme sera total jusqu’à celles et ceux qui s’incrustent encore et parfois le dénoncent en se croyant à l’abri. En attendant, c’est le libéralisme qui fait son lit et nombreux sont celles et ceux qui viennent s’y vautrer selon le principe qu’il faut toujours se ranger du côté du plus fort jusqu’aux prochaines élections. Préférer la victoire des autonomistes et des indépendantistes en se réjouissant de la défaite de son propre camp, c’est installer une défaite à long terme. Il faudra en assumer la responsabilité. A qui la faute ? Les électeurs de la gauche alternative sauront s’en souvenir.
Les incarnations autoproclamées sont mortelles et seules les idées survivront. C’est pour cela qu’elles valent la peine d’être défendues envers et contre tous, s’il le fallait encore. C’est valable en Corse comme ailleurs, en sachant toutefois que, sur l’île, il faut y vivre pour s’octroyer le droit d’influer sur une élection. Le poujadisme n’y est déjà plus d’actualité et ce sera la grande leçon des dernières élections pour les états-majors continentaux de la Droite et de la Gauche.
La personnalisation à outrance a mis fin au pluralisme d’idées et d’organisation du Front de gauche. Elle s’est révélée dans le mal qui vient d’être fait à la gauche en Corse. Le slogan “La France Insoumise” fait référence à la France, ce qui peut expliquer les attaques jacobines contre la « Corse insoumise ». Outre la référence à la France, à qui s’adresse-t-on ? Il semblerait que ce ne soit pas aux Corses et d’aucuns n’en sont pas à une contradiction prés, tout en saluant le « dégagisme » obtenu par les indépendantistes et les autonomistes et sans se prononcer clairement sur l’indépendance. Comme si l’on pouvait faire un parallèle entre l’indépendance de la France et l’indépendance de la Corse, si ce n’est en toute mauvaise foi dans un discours trompeur.
La gauche a besoin plus que jamais de clarté et de se remobiliser pour défendre le progrès social et non pas autour d’un leader aussi charismatique soit-il. Le libéralisme économique est en train d’installer les salariés dans la précarité et ne réglera pas le chômage de masse qui sert de chantage pour faire accepter la régression sociale. Sur le plan local, il y a des choix à faire pour l’avenir de la Corse et ces choix ne peuvent se désintéresser du sort de milliers d’insulaires dans la difficulté et parfois dans la misère, en ignorant les problèmes d’emplois, de logement, de santé, d’éducation… Il s’agit d’abord de permettre à tous les Corses de vivre décemment, de se loger, de se nourrir, de travailler, d’avoir des enfants… Pour tout cela, les forces de gauche se doivent d’être unies et non pas de se détruire pour revendiquer un leadership illusoire.
Les intérêts de quelques uns ne peuvent justifier l’absence de politique sociale à long terme, en pensant que ce sont les plus riches qui font vivre l’Île, alors qu’ils ne font que s’enrichir. La théorie économique du ruissellement de la richesse qui profiterait aussi aux plus pauvres est une fable économique que l’on nous sert depuis des lustres pour freiner le progrès social et, aujourd’hui, organiser la régression en s’attaquant à tous les acquis obtenus par les luttes syndicales.
La Corse aura besoin de la gauche alternative pour défendre le progrès social. La gauche se reconstruira par les Corses pour les Corses, parce qu’elle a pour finalité universelle le bonheur des peuples. Les deux dernières élections locales montrent bien que le terme « local » a une forte signification sur l’Île. Les états-majors parisiens (ou marseillais) n’y ont que peu d’influence si ce n’est celle de nuire à leur propre camp…un temps seulement.
N’oublions pas que près de la moitié des électeurs n’ont pas voté aux dernières élections. Au-delà de la victoire incontestée des autonomistes et indépendantistes, il faut voir aussi un échec de la démocratie par un manque de participation au scrutin. A qui la faute en ce qui concerne les électeurs de gauche qui ne se sont pas déplacés ? Qui a publiquement invectivé la seule liste de gauche présente ? L’Assemblée de la Corse ne compte aucun élu de gauche. Qui, à gauche, s’en est publiquement félicité ?
Pierre-Henri Fabiani