« On ne veut pas qu’on nous aide, on veut un plan pour la culture »

Discours présidentiel sur la culture : les syndicats réagissent

La période de confinement a mis à mal des salariés de plusieurs professions. Les intermittents du spectacle font partie de ceux-ci. En effet on ne compte plus les spectacles et autres manifestations culturelles annulées. Emmanuel Macron a organisé une visio-conférence sur la culture, mais il n’a pas invité les syndicats. Inseme à Manca a voulu en savoir plus et nous publions un entretien réalisé par le journal Zibeline avec la comédienne, chanteuse, metteuse en scène Danielle Stéfan, conseillère nationale du SFA-CGT (Syndicat français des artistes interprètes, affilié à la Fédération du spectacle CGT).

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Zibeline : Le président de la République a choisi de s’adresser à une douzaine d’artistes triés sur le volet sans s’adresser aux organisations représentatives du secteur culturel comme les syndicats. Comment réagissez-vous ?

Danielle Stéfan : C’est d’un profond mépris. Avant cela, il y a eu le rapport du professeur Bricaire sur le déconfinement dans la culture qui avait donné lieu à des contacts avec des représentants d’employeurs mais pas de salariés. Cela signifie que l’on imagine la reprise des salariés sans les salariés que sont les artistes. Les règles de la démocratie ne sont pas respectées.

Les artistes consultés lors de la visioconférence sont de vrais artistes, qui ont toute légitimité en tant qu’artistes mais pas en tant que représentants des autres artistes.

Sur le fond, par sa vision de la culture et du rôle des artistes, le chef de l’État vous a-t-il paru convaincant ?

Il n’y a pas de fond. Ce n’est pas un plan, c’est un grand déballage, une espèce de fantasmagorie personnelle. Les propositions ne sont pas dignes d’un gouvernement. Un plan, c’est précis, avec un financement. Là, le président fait un grand show où il réinvente l’eau chaude et nous explique, à nous artistes, comment il faut travailler. Pourtant, on l’a vu dans des théâtres. Qu’est-ce qu’il y voit ? À moins qu’il regarde qu’on le regarde. Que le président donne les grandes lignes et n’annonce pas le financement, pourquoi pas ? Mais il aurait fallu que son ministre de la Culture le fasse a posteriori, en fixant le calendrier des concertations pour la mise en œuvre. Mais derrière, on n’a pas de ministre de la Culture, on a quelqu’un qui prend des notes et à l’air de découvrir des choses. Bien sûr, il va y avoir des rencontres, mais on a l’impression d’une grande improvisation. Que la situation exceptionnelle que nous vivons désarme tout le monde y compris le gouvernement, on peut le comprendre. Dans ce cas, on dit « ça on sait, ça on ne sait pas et on va essayer de faire ensemble » plutôt que de donner des leçons.

Êtes-vous sensible à sa demande d’intervenir auprès de la jeunesse et des publics sensibles ?

C’est la grande blague. Les artistes interviennent en dehors de lieux de représentation depuis très longtemps, déjà à l’époque de Jean Vilar. Mais depuis une bonne quinzaine d’années, on ne cesse de diminuer les financements pour tout ce qui concerne l’éducation artistique et culturelle tout en demandant aux artistes de faire plus avec moins de moyens. De leur côté, les collectivités territoriales imposent que les aides à la création soient toujours assorties d’action culturelle. Cela revient à donner de l’argent en moins, puisque pour le même budget on mène le projet artistique et l’action culturelle qui en découle. En fait, on troque notre travail contre la paix sociale.

Pour en revenir au discours d’Emmanuel Macron, il ne parle pas d’emploi, ni de métier, ni de projets. Il nous parle d’heures pour avoir droit au chômage. Donc à part les grands artistes avec lesquels il parle, les autres sont des chômeurs qu’il faut aider. Mais on ne veut pas qu’on nous aide ! On veut un plan pour la culture et que l’emploi soit une des composantes essentielles d’une politique culturelle.

Et à sa suggestion de réinvention ?

On pense tous qu’il a dans la tête les tas de propositions produites par les artistes pendant le confinement et vues sur Internet. La plupart gratuites d’ailleurs. Et ça lui plaît bien, ça. Mais les choses les plus construites ont été faites par des gens, que ce soit par l’Opéra de Paris ou l’Orchestre national de France, qui continuaient à être payés. C’était extrêmement beau et léché parce qu’ils en ont les moyens. Les autres ont fait ça dans leur cuisine, leur salle de bain, avec des rendus plus ou moins intéressants ou médiocres. Si Emmanuel Macron veut que nous réinventions via les nouveaux outils –bien que le spectacle vivant ait besoin du contact physique et qu’il ne pourra passer bien longtemps par la technologie– mais qu’il ne met pas sur la table les moyens en espèce sonnante et trébuchante, cela ne se passera pas. On n’a jamais vu autant d’artistes travailler au chapeau depuis quelques années. Les premières mutuelles artistiques se sont créées à la fin du XIXe siècle pour justement arrêter que les artistes soient payés au chapeau et demander qu’ils soient des salariés.

Ne serait-ce pas davantage les politiques culturelles qui ont besoin d’être réinventées ?

Sans doute. Pendant le confinement, on ne s’est pas arrêté de se réunir pour régler les urgences. Mais on a aussi relancé des réflexions sur le fond et notamment sur la politique culturelle. Et on s’est dit que le point central à réinventer était les structures d’emploi. La Fédération du spectacle assigne en justice quinze centres dramatiques nationaux dont La Criée à Marseille et le Théâtre national de Nice qui ne respectent pas du tout l’accord sur le volume d’emploi des artistes interprètes prévu par la convention collective. Quand on a des réunions avec des représentants de ces employeurs, le Syndeac entre autres, on s’entend dire que le gros problème du théâtre actuellement, c’est les artistes interprètes. On serait presque de trop. Alors que ces boîtes ont été construites, inventées pour y faire du théâtre avec des comédiens. La politique du projet est une politique du kleenex : on nous prend puis on nous jette.

L’extension des droits des intermittents jusqu’en août 2021 correspond-elle à la revendication de la profession ?

Une grande partie de la profession l’a demandé comme ça. À la Fédération du spectacle (CGT), on s’est dit que le demander comme ça ne suffisait pas parce que cela ne couvrait pas tout le monde. On a réfléchi à comment organiser le repêchage. En effet, il faut sauver des gens mais vraiment. Là, on ne sait pas pourquoi août 2021. Cela correspond à quoi ? Pourquoi pas septembre ou 2022 ? Nous avons demandé un dispositif pour la période d’impossibilité de travailler normalement. Cette période, on ne peut pas la prévoir parce que cela sera différente selon les secteurs artistiques. Donc on demande que la période de référence soit celle qui va de début mars jusqu’au moment où toutes les activités vont pouvoir reprendre normalement. Par ailleurs, dans cette année blanche, rien n’est dit sur les nouveaux entrants, c’est-à-dire les personnes qui n’avaient pas encore droit au chômage intermittent mais qui étaient en voie de l’obtenir, ou celles qui étaient en rupture de droit et qui comptaient sur les dates annulées pour recouvrer leurs droits. Tous ceux-là ne sont pas concernés par l’année blanche. S’ajoutent les cas des personnes en congés maladie ou maternité. L’accès à la Sécurité sociale, relatif lui aussi à un calcul d’heures, est également compromis. Cela fait beaucoup de situations non prises en compte.

Quelles autres mesures demande la CGT du spectacle ? 

Nous voulons que la reprise du travail s’effectue avec un comité sanitaire et social du spectacle vivant et enregistré, composé de représentants des organisations syndicales, salariales et patronales, de la médecine du travail du spectacle, de la protection sociale, de la formation professionnelle… afin d’établir ensemble les conditions de la reprise.

Différents fonds ont été mis en place depuis mars. Mais on a très peur que le ruissellement n’arrive pas jusqu’en bas, c’est-à-dire jusqu’aux salariés car ces fonds ne sont pas fléchés. Nous demandons des fléchages incluant des conditions de salaire et d’emploi. 

Mais le grand absent demeure l’emploi, depuis longtemps. Cette crise révèle encore plus qu’une grande majorité des artistes sont précaires. En amont d’un spectacle, d’un projet, il y a une continuité dans le temps. Tant qu’il sera pensé que la chose à payer est le rendu, il n’y aura pas de vraie politique. Le travail, c’est tout le reste. Ce sont des heures et des heures de travail, et pas pour du chômage justement.

Les employeurs ont-ils globalement joué le jeu ?

Les entreprises ont été aidées à plusieurs niveaux, la plupart d’entre elles ont honoré leurs contrats. Mais il a fallu un peu batailler dans certains endroits. Notre service juridique n’a pas chômé pour faire respecter les droits des salariés. À Marseille, par exemple, on vient d’obtenir une grande victoire : l’Opéra va payer tous les artistes et intermittents dont les spectacles ont été annulés. La mairie ne connaissait pas les textes et estimait qu’elle n’avait pas à payer pour des représentations qui n’avaient pas eu lieu.

Êtes-vous optimiste quant à la reprise ?

On ne peut pas être optimiste. Mais on peut se dire que le monde du spectacle est doté d’une capacité d’imagination et d’invention –quoi qu’en pense notre président– étonnante et débordante.

Entretien réalisé par LUDOVIC TOMAS

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