Le droit à la santé pour tous est une exigence humaine fondamentale. Inseme à Manca a lancé le débat sur son site et engagé une campagne de pétition à ce sujet. voir ( http://chng.it/zLggrCDyRP). Pour poursuivre le débat, après l’interview de Nathalie Coutinet , à son tour Benjamin CORIAT des économistes atterrés, professeur d’économie, université Paris13, répond à nos questions .

La crise sanitaire actuelle révèle un grand nombre de défaillances, d’incohérences, d’insuffisances et de graves pénuries. Limitons-nous au secteur de l’industrie pharmaceutique où l’on constate des situations de quasi rupture de stocks, en particulier pour des médicaments vitaux.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
Les économistes néolibéraux et les fameux experts qui monopolisent quotidiennement les écrans de télévision ou qui sévissent dans une presse écrite bien pensante, évitent pudiquement d’en donner les raisons. Tout au plus reconnaissent-ils du bout des lèvres le problème de la délocalisation des substances actives – pour l’essentiel en Chine et en Inde – sans en donner les causes, ni en pointant les responsabilités.
Vous faites partie des Economistes atterrés dont la réputation n’est pas de s’inscrire dans la pensée économique unique et qu’on ne voit pas souvent à la télé, vous avez sans doute un autre regard sur l’industrie pharmaceutique. Nous souhaiterions vous poser quelques questions à ce sujet.
Manca alternativa.
D’après-vous, pourquoi a-t-on massivement délocalisé les productions de substances actives, au cours des dernières décennies ?

La réponse est simple : les coûts de production de ces substances sont bien plus bas, notamment en Inde et en Chine. A la fois parce que les couts de main d’œuvre – et souvent des matières premières – y sont bien inférieurs à ceux qui prévalent chez nous, mais aussi parce que ces pays se sont spécialisés dans la production de ces principes actifs et y ont développé d’énormes capacités, permettent de très importantes économies d’échelles. Le souci de préserver sur le sol national la production de substances stratégiques, car nécessaires à la santé publique n’a visiblement pas peser du tout. La crise ouverte par le Covid, montre à satiété, que la sécurité d’approvisionnement n’a pesé en rien dans les décisions de l’industrie pharmaceutique
Manca alternativa.
Le secteur de l’industrie pharmaceutique s’est inscrit dans la globalisation de l’économie et de sa financiarisation. Quelques multinationales le dominent largement. Quels objectifs recherchent ces multinationales, pour l’essentiel anglo-saxonne ? satisfaire les besoins en santé des populations ou plus prosaïquement faire des sous, beaucoup de sous, sur le dos des patients et de la Sécurité sociale, pour ce qui concerne la France ?
Le souci principal de l’industrie pharmaceutique est celui de maintenir une haute rentabilité. En atteste le niveau des dividendes versées aux actionnaires par cette industrie, niveau qui, année après année, est toujours parmi les plus élevés de ceux versés, toutes industries confondues. En atteste aussi le fait que cette industrie ne fait pas (ou très peu) de recherche pour les patients du Sud qui connaissent des affections particulières (la leishmaniose, la bilharziose …), désignées du coup comme des maladies « négligées » (négligées par qui ? …). Le motif est que ces patients ne sont pas solvables et les systèmes de sécurité sociale, lorsqu’ils existent sont incapables d’assurer la solvabilité des médicaments qui seraient indiqués. Du coup les pharma, même lorsqu’elles possèdent des molécules possiblement efficaces ne développent pas de médicaments. Elles se concentrent sur les maladies des pays dans lesquels les remboursements permettent l’écoulement de leurs produits. Quitte, ce qui est souvent le cas, à mettre sur le marché 10 fois le même médicament en ne changeant à chaque fois qu’un aspect très secondaire de la molécule utilisée.
Manca alternativa.
D’aucuns parlent d’une Mafia du médicament. C’est d’ailleurs le titre d’un livre paru en 1977, aux éditions sociales. Vieux livre mais d’une remarquable actualité. Excès de langage ou réalité souvent méconnue du grand public ?
L histoire de la pharma est semée de scandales multiples. Recherches cliniques effectuées de manière non éthique sur des patients qui ne savent pas à quoi ils s’exposent. Médicaments prescrits – par des médecins sous influences – à contre emploi pour élargir leur marché au risque de provoquer de graves effets secondaires. Demandes d’autorisation de mise en marché sur des dossiers incomplets ou pour lesquels on n’a pas fourni toutes les données disponibles en camouflant celles qui peuvent conduire à des refus … On peut multiplier ces exemples. Dès lors, oui le grand public gagnerait beaucoup être plus complètement et sincèrement informé. Et il découvrirait bien des choses qu’il n’imagine pas.
Manca alternativa.
Certains préconisent la nationalisation – et non l’étatisation – de toute l’industrie pharmaceutique et le développement de la recherche publique, avec des moyens adéquats. Qu’en pensez-vous ?
Pour moi ce qui compte par dessus tout c’est de faire de la santé publique un « bien commun », en entendant par là qu’il faut garantir l’accès aux soins– au meilleur de l’état de l’art- pour tous et notamment pour les plus démunis. C’est donc le système de santé publique dans son ensemble qu’il faut revoir pour parvenir à cet objectif. Pour ce faire, la gouvernance du système doit être partagée et les citoyens – pas seulement l’administration publique – doivent avoir une part prépondérante dans la gestion du système en relation avec les acteurs en charge de la conception et de la distribution des soins. Nationalisation, développement de la recherche publique ne sont alors que des moyens. C’est sur les fins – la santé comme bien commun – qu’il faut réfléchir et s’accorder. Et faire correspondre les moyens.
Excellent. Pouvez-vous me mettre en relation avec B.C.,vieil ami perdu de vue depuis longtemps, j’aimerais lui envoyer mon dernier livre? Jean-Paul Cruse. Jeanpaulcruse@gmail.com
Pour que le jour d’après ne soit pas comme avant il est nécessaire de défendre les communs, l’intérêt général.
Faire de la santé publique “un bien commun”, la nationalisation et la recherche étant les moyens.
Mais les communs c’est aussi l’énergie, l’eau, l’éducation, le logement qui sont aujourd’hui soumis aux règles du marché, à la concurrence. Ce sont tous ces thèmes que le secteur public doit se ré-approprier.
Je partage volontiers ces propos. Je pense qu’il faudrait peut-être bien préciser la nuance entre “Étatisation” et “nationalisation”.
Je m’interroge aussi sur le statut de certains “pontes médicaux” dont il semble qu’ils touchent d’importantes “primes” et avantages en nature des grands groupes pharmaceutiques. Cela ne participe-t-il pas du “système” ?
En effet il est important de mieux préciser les deux nuances entre Nationalisation et Étatisation. Pareil lorsque on parle des communs.
Lisez ce long rapport ..Quel secteur de fonction publique recrute chez les forces dites de “l’ordre ‘
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/174000149.pdf