Par Jean Alesandri :

La récente et surprenante prise de position de Jean-Luc Mélenchon sur le statut de résident en Corse m’a conduit à poser par écrit quelques réflexions sur cette question et tenter une approche avec certains éléments de réponse. Je les soumets à votre avis pour débat, critiques et suggestions.
Le statut de résident est l’une des revendications prioritaires portées par l’actuelle majorité nationaliste de la Collectivité de Corse.
Pourquoi ne sommes-nous pas d’accord avec cette revendication ?
Sur plusieurs aspects, cette « fausse-bonne idée » est d’une part contraire à notre approche éthique de la société des Hommes et d’autre part ne constitue en aucune façon une solution efficace pour régler cette question particulière du foncier.
Mais d’abord, pourquoi une telle revendication ?
Pour les nationalistes, hélas suivis par d’autres, cette revendication, si elle aboutissait, permettrait, selon eux, aux Corses de construire puisqu’ils pourraient acheter à un prix raisonnable car justifiant de cinq années de résidence dans l’île.
Qui est visé par cette proposition ?
Disons-le franchement car les choses sont claires : les personnes aux revenus confortables, continentales et étrangères essentiellement.
Si l’on y regarde de plus près, où sont localisés ces terrains dont les prix atteignent des sommets ?
Quelques micro régions sont concernées : Extrême-Sud autour de Bonifacio et Porto-Vecchio, rive sud du golfe d’Ajaccio, Balagne, Cap Corse et plus généralement les zones littorales.
Or il y a également des terrains dans l’intérieur, dans et autour des villages , où il est souvent difficile de trouver à vendre faute d’acheteurs . Pourtant dans ces zones de l’intérieur, de nouveaux arrivants, surtout s’ils s’installent à l’année, seraient plus que bienvenus ; en particulier si ce sont des actifs, avec des enfants ; impact positif sur l’activité économique et le commerce locaux, maintien de l’école , etc… Ayons en mémoire l’impact de l’installation des ouvriers agricoles et forestiers italiens dans nos villages, il y a un siècle environ, contribuant ainsi à leur développement et faisant aujourd’hui partie intégrante et à part entière de la population.
Notre premier désaccord est d’ordre éthique
Nous sommes dans un pays de droit et de liberté, où les Hommes (au sens générique) peuvent se déplacer et s’installer librement, en respectant bien entendu les lois et règlements en vigueur dans le pays d’accueil. Et ce, qu’ils soient très modestes salariés ou richissimes hommes d’affaires.
Gardons toujours à l’esprit l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ; Et notamment celui de s’installer et résider dans le lieu de son choix.
Il ne peut donc y avoir deux catégories de citoyens : ceux qui résident depuis cinq ans et les autres. Cela constitue un cas de discrimination qui ouvre la porte à toutes les dérives, une fissure dans la règle de droit qui pourrait devenir vite une faille puis une fracture irréductible.
On avance aujourd’hui le critère de cinq ans de résidence mais demain cela pourrait être dix ans, vingt ans ou alors l’origine géographique, le statut social voire l’origine ethnique ou les convictions religieuses… Pourquoi pas ? Rien ne le garantit. Alors veillons à ne pas ouvrir la boîte de Pandore.
Notre second désaccord est d’ordre technique
L’obligation de résider cinq ans en Corse peut sans doute dissuader certains acheteurs. Pour autant , les vendeurs accepteront-ils de baisser leurs prix ? Rien ne permet de l’affirmer. D’autant que nous assistons à la mise en coupe réglée de l’économie insulaire par quelques familles, nouveaux millionnaires et , sans doute pour certains, milliardaires. Ceux-là seuls auront les moyens d’acheter. Ils pourront construire, louer à de riches touristes et récupérer ainsi leur investissement puis le faire fructifier. Ces constructions seront donc des résidences secondaires de luxe pour quelques privilégiés.. Les propriétaires, déjà très riches, augmenterons leur patrimoine.
Sans oublier le grand banditisme local, voire national et international, déjà implanté dans l’île qui trouvera certainement là matière à blanchir financièrement ses forfaits. Tout se mettrait tranquillement en place pour installer une véritable république bananière avec ses collusions classiques, politiques, économiques et mafieuses.
Alors, quelles contre-propositions avancer ?
La Collectivité de Corse dispose d’un outil qui peut s’avérer efficace si une volonté politique forte l’anime : c’est l’Office foncier.
A ce jour, cet office s’est notamment distingué par une action qui aurait dû relever du service Patrimoine -culture, le rachat d’un « palazzu d’américains » en Haute-Corse, afin qu’il reste dans le patrimoine des Corses .
D’autres solutions auraient peut-être pu être étudiées. D’autant que ce bel édifice devrait avoir diverses vocations, non encore complètement définies, mais en tout cas pas dans le champ du logement social.
Mais l’office foncier a aussi conventionné avec les communes d’Ajaccio et Bastia pour l’achat de bâtiments à rénover ou restructurer . C’est une bonne politique qu’il faut poursuivre et développer avec les communes.
L’Office doit garder sa priorité : oeuvrer pour permettre davantage de logement social.
Cependant rien ne l’empêche, dans le cadre notamment du droit à l’expérimentation, de développer une politique innovante sur la question du prix des terrains. Cette question est à travailler sérieusement, dans une approche sociale, juridique, administrative et financière.
Ainsi par exemple, de façon non exhaustive et qu’il convient d’étudier très finement :
Peut-on fixer , en fonction des zones géographiques, un prix plafond raisonnable au mètre carré des terrains constructibles ?
Peut-on limiter la vente à une seule résidence secondaire par acheteur ?
Peut-on fixer dans un PLU un pourcentage de terrains constructibles à affecter à du logement social ou pour des classes moyennes, avec s’il le faut des mesures compensatoires pour les propriétaires de ces terrains ?
D’autres propositions pourraient bien sûr être explorées qui seraient certainement de nature à apporter des solutions techniques à cette question du logement . Il faut y travailler.
Et l’on éviterait ainsi de recourir à des solutions qui n’en sont pas et qui n’auraient que comme seul résultat certain, celui de faire appel à des pratiques qui ne peuvent avoir cours dans l’Etat de droit.
Jean Alessandri